Police et Gendarmerie qu’ont-ils fait pendant la guerre de 1914-1918 ? (5)

Nous continuons notre exploration d'une histoire de la police en essayant toujours de répondre à cette question : Les violences policières ne sont-elles pas des violences d’Etat ? Nous vous proposons le 5 ème volet de cette recherche, ou nous exposerons successivement; la situation de la Police et Gendarmerie pendant la guerre de 1914-1918, après l'anarchiste, la chasse au nouvel ennemi de l'Etat ; Le Communiste, mais aussi la traque contre les étrangers qui aboutiront à les enfermer jusque dans des camps, le 6 février 1934 et son préfet monarchiste Chiappe. Polices et Gendarmeries qu’ont-ils fait pendant la guerre de 1914-1918 ? Lorsque en France, 8 millions d’hommes sont appelés sous les drapeaux et que le pays se tourne entièrement vers la guerre, qui plus est, une guerre totale, on peut se demander à quoi sont utilisées les forces de l’ordre. Cette mobilisation de la population concerne d’abord les classes jeunes bien entendu qui servent de forces combattantes, de “chair à canons“, mais aussi petit à petit les classes plus anciennes qui vont être utilisé pour assurer des services de garde territoriale sur des carrefours ou des sites sensibles. On estime qu'un tiers des effectifs de la police va être mobilisé pour le front . Dans un contexte où les hommes sont absents, où dans les fermes, les commerces, les quartiers ne sont plus habités que par les plus jeunes, les handicapés et les femmes, il est essentiel de ne pas laisser l’arrière être la proie des voleurs traditionnels, des malfaiteurs en tout genre.D’autant qu’il est plus facile de se procurer des armes rapportées du front après avoir été ramassées sur le champ de bataille ou prélevées sur les prisonniers.

Cette préoccupation du pouvoir, quant à l’utilisation des forces de l’ordre en cas de conflits est posée, bien avant la guerre. Le 9 juillet 1913, une circulaire du ministre de l’intérieur met en exergue cette volonté de maintenir l’ordre à tout prix pendant la guerre. Le gouvernement craint un « espace libéré » pour la délinquance, en l’absence des autorités. La gendarmerie et la police seront considérablement plus vulnérables et en sous-effectif sur la partie arrière du front, il est donc nécessaire de trouver une solution. Une des réponses sera la mise en place de la garde civile. Les policiers partis au front seront remplacés par des volontaires, sélectionnés parmi les retraités. Ils ne possèdent pas d’équipement particuliers, seulement un brassard vert symbolisant leur appartenance à la garde civile. Mais très vite cette sorte de milice peu préparée commet des bavures fréquentes ainsi que de nombreux incidents. Ces “brassards verts”, armés de fusils de chasse pour la plupart, vont abuser de leur statut. Comme le dit à l’époque le commissaire de Raincy : « il faut assez longtemps pour former passablement un agent de police. La fonction est beaucoup plus délicate et complexe que l’on ne croit ». Beaucoup d’abus sont relevés ce qui va obliger le gouvernement à dissoudre cette organisation. Ainsi entre 1914 et 1918, les polices vont être, à la fois forces combattantes, responsables du maintien de l’ordre au sein des armées, ou impliquées dans la régulation des multiples champs de la vie à l’arrière du front.

La gendarmerie va voir, comme c’est le cas depuis des siècles, ces fonctions prévôtale renforcer (Police judiciaire, et militaire) dans ce temps de la guerre . Près de 4 000 hommes, de tous les grades, rejoignent les formations prévôtales, soit 18 % environ de l’effectif de la gendarmerie en 1914 (1) . Et cela commence très largement en amont puisque ce sont bien les forces de l’ordre qui préparent et contrôlent cette mobilisation et ces millions de réquisitions qui l’accompagnent. Ce travail d’organisation effectué partout en France par ces brigades permettent à l’Etat d’assurer une continuité d’obéissance, condition nécessaire à la monté en puissance des armées dans un délai le plus rapide et avec un taux d’insoumission le plus bas.

Cela va mettre fortement les gendarmes dans une position difficile à la fois vis-à-vis des armées et de la population civile. En effet, voilà des militaires de carrière qui, à l’écart des tranchées, vont imposer aux “vrais combattants “ des contrôles pointilleux, procéder à la police des débits de boisson, feront la chasse et arrêteront les déserteurs, garderont les préventionnaires au conseil de guerre et autres prisonniers prévôtaux, et assureront les enquêtes relatives aux crimes et délits commis par les soldats. Les relations avec les autres militaires se tendent au fil du temps et la figure du gendarme se ternit pour laisser la place à celle du “cogne“ . La recherche des réfractaires et déserteurs ( “Police des champs de bataille“ ) sera mal vue des soldats et d’une partie de la population. La peur de perdre un mari ou un fils, l’absence de bras pour le travail, l’injustice ressentie face à la situation de certains ouvriers maintenus en usine alimentent, ici ou là, la haine du gendarme qui vient chercher l’homme de la maison et le jeter dans la fournaise, tout en restant lui-même à l’abri.

Rappelons qu’entre 1914-1918, 2400 « poilus » ont été condamnés à mort “ Pour l'exemple“ et plus 600 exécutés, sans compter les exécutions sommaires par les officiers sur le champ même de bataille, qui se compteraient par centaines. Le Règlement sur le service en campagne, promulgué le 2 décembre 1913 sous la signature de Raymond Poincaré, président de la République est ambiguë à souhait à fin de permettre de tels assassinats. Il mentionne dans son article 121 :  « Les officiers et les sous-officiers ont le devoir de s'employer avec énergie au maintien de la discipline et de retenir à leur place, par tous les moyens, les militaires sous leurs ordres, au besoin ils forcent leur obéissance » Ces forces de l’ordre que ce soit la police ou la gendarmerie vont se doter de services de renseignement, en plus de celui de l’armée qui vont contribuer à la lutte contre l’espionnage et le sabotage des installations essentielles à l’effort de guerre. Le contrôle des personnes signalées dans les fichiers dès avant le déclenchement du conflit ainsi que des étrangers en constitue le moyen principal. Mais cette concurrence des services de renseignement va alimenter, aussi, les premières guerres des polices. (2)

Même si la gendarmerie ne fait pas de renseignement politique, les brigades sont un récepteur fin de l’opinion publique canton par canton et permettent d’estimer avec justesse l’état d’esprit de la population, élément précieux en temps de guerre. La lutte contre le « marché noir », enfin, contribue à maintenir le moral de l’arrière et à éviter d’aggraver les désordres provoqués par les pénuries. Le monument de la gendarmerie, à Versailles, porte gravé le chiffre de 878 militaires de tous grades morts pendant la guerre. En 1914, l’école pratique de la police municipale est renommée école pratique et professionnelle de la police municipale, elle permet aux gradés de police de recevoir une formation complémentaire. Spécificité de L'ARME (Gendarmerie) Déjà Napoléon, parlant de la gendarmerie à son frère, alors roi de Naples notait : « la gendarmerie c’est une force moitié civile, moitié militaire ». Historiquement, la gendarmerie est issue de l’armée de terre, de la cavalerie plus précisément, et jusqu’en 1950, elle sera rattachée à l’armée de terre. Le 23 juin 1871, à la suite des événements liés à la Commune de Paris, le général de Cissey institut « une force publique mobile pour assurer la sécurité à Versailles et, au besoin, renforcer la gendarmerie départementale. ». Une première force de 1200 hommes mais qui ne sera guère suivit d’effet. Il faudra attendre 1905, à la suite de la grève des gardiens de la paix lyonnais, pour argumenter de brigade mobiles au service du maintien de l’ordre, car , eux, les militaires ne font pas grève.

Le 31 décembre 1918 l'École des officiers de la gendarmerie nationale est créée, et accueille des officiers des armées et des sous-officiers de la gendarmerie pour les préparer à devenir des officiers de la gendarmerie nationale. La loi du 21 octobre 1920 instaure, au sein de l’administration centrale du ministère de la Guerre, un organisme en charge du corps des gendarmes : la direction de la gendarmerie nationale. En effet depuis le 24 juillet 1815, la gendarmerie était la seule branche militaire à ne pas posséder de représentant issu de ses rangs auprès du ministre. Le lieutenant-colonel Plique, sera donc le premier militaire à diriger la gendarmerie, situation qui ne durera à peine 20 ans. Il deviendra Colonel puis général et va développer un programme d’innovation en contribuant, entre autres, à la création des pelotons de gendarmerie mobile par la loi du 22 juillet 1921. Georges Clemenceau, ministre de l’Intérieur ( mars 1916- juillet 1919) qui souhaite depuis longtemps la création de la “mobile“, se heurte, sûrement comme radical-socialiste historique, anticlérical virulent, ancien dreyfusard ardent, aux officiers supérieurs de l’Armée de terre, ainsi qu’à l’opposition socialiste, qui ne veulent pas de ce nouveau corps pour assurer la police des foules.

La gendarmerie est une force de police à statut militaire, chargée principalement de la sécurité dans les zones rurales et périurbaines elle est déployée sur tous les territoires de métropole et d'outre mer. Elle comporte 3 missions : -missions de police judiciaire -missions de police administrative -mission militaire de police (Gendarmerie prévôtale) et de défense. Ce n’est qu’en novembre 2004 qu’un général d’armée, Guy Parayre, sera de nouveau nommé pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale au poste de directeur général de la gendarmerie. En 2009 la gendarmerie sera rattachée au ministère de l’Intérieur mais conserve toutefois son statut et sa culture militaires, toujours au service de la population.

Un anticommunisme d’Etat entre 1917- 1940 Deux dates marquent cette période. : 1917 la Révolution Russe et le pouvoir donné aux Soviets en Russie, puis décembre 1920 date du congrès de Tours. Le début de cette décennie va voir la Section française de l’internationale socialiste se scinder en deux . La majorité choisit d’adhérer l’Internationale Communiste (Komintern sous influence Russe) et crée un nouveau parti, la section française de l’Internationale communiste ( SFIC,) qui deviendra en 1921, le PC-SFIC, il ne prend la dénomination de PCF qu’en 1923. Très vite l’hostilité à cette idéologie, la peur de sa contagion dans les milieux ouvriers et populaires et d’autre part l’élaboration d’une théorie d'un « complot » en gestation contre la sûreté de l'État en vue de renverser la République, prend corps dans les esprits. L’idée de « trahison » de ces citoyens français et plus tard de cinquième colonne, va s’imposer Cette fabrique des opinions (Propagande d'Eric Bernays 1917 ) va permettre la constitution de processus et dispositifs légitimant une croisade anticommuniste. Un arsenal de discrimination et de répression va se mettre en place.

L'intervention de l’armée française dans la Ruhr (1923-1925), heurtant le pacifisme des membres du parti communiste , puis l’opposition farouche et exemplaire des communistes( J.Doriot) à la guerre du Rif et au génocide en cours au Maroc (1925-1927), poussent l’administration à repérer et à dénombrer systématiquement les militants communistes. Un recensement systématique et minutieux de la part du ministère de l’Intérieur sera donc mis en place. Entre 1924 et 1939, près de dix circulaires majeures consacrées aux agissements du PCF émanent de l’administration de la Place Beauvau.  Le carnet B, d’abord créé dans les années 1880 pour cibler les actes d’espionnage, devient progressivement un outil de surveillance d'individus soupçonnés d'antimilitarisme ou d’anarchismes avant 1914. Nombre de militants du PCF y sont inscrits dans l’entre-deux-guerres. Ainsi la politique de police dans cette période a renforcé considérablement, la dimension répressive de la police en direction des partis politiques de contestation.

Un mot sur les femmes policières qui firent leur apparition, pour la première fois en Pologne où elles étaient près de 58 à Varsovie. Entre 1925 et 1929 c’est près de 7000 affaires qu’elles amenèrent. En France c’est la ville de Grenoble, qui après avoir fermé les maisons de tolérance, nommèrent deux femmes assistants de police en 1935, en charge de la surveillance de l’enfance, l’hygiène la moralité publique et la prostitution. Entre les deux guerres l’Etat accentue sa politique de police contre les étrangers Le projet de loi du 25 novembre 1908 « relatif à la réglementation de la circulation des nomades » aboutit à la loi du 16 juillet 1912 sur le port du carnet anthropométrique d’identité. (3) Une vaste entreprise de fichage va être entrepris recensant les empreintes digitales de ces populations . Ce carnet, qui ne s'applique qu’aux Tziganes préfigure la carte d’identité et le livret de circulation . C’est par un décret d’avril 1917 que va être instauré en France une "carte d’identité d’étranger ». Première expérience en Europe d’une identification ciblée de tous les résidants étrangers sur le sol national. Elle sera une date qui marquera une étape fondamentale dans l’histoire du contrôle de l’immigration en France.  Cette mesure s’appliquera à une population de 1,5 millions d’étrangers Le service central de la carte d’identité des étrangers, installé auprès de la direction de la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur, délivrera ce document moyennant  le paiement d’une taxe. Tous les étrangers sont soumis à cette déclaration obligatoire qui doivent donc verser un impôt spécial.

Ce n’est qu’avec l’émergence de l’État-providence, après la Guerre de 14-18 comme l’a souligné Gérard Noiriel (4) que la préoccupation des autorités a commencé à se déplacer des prétendues «classes dangereuses» en général vers les ressortissants étrangers. À partir de cette date les «étrangers» n’étaient plus ceux qui venaient d’une région voisine, mais ceux issus d’un nation étrangère. Ce sont les services des renseignements généraux, devenu simple police d’observation, qui collecteront une quantité considérable d’information sur ces populations. Un Service actif du Service des étrangers, la 4ème section, est créé. « Dans cette période la xénophobie était notoire dans les services de la préfecture, comme d’ailleurs dans l’ensemble de la société » relate Clifford Rosenberg (5)

En 1928, le ministre de l’Intérieur A. Sarraut se plaint devant une assemblée de policiers parisiens que les masses d’étrangers à Paris apportaient  «Leurs mœurs, leurs habitudes, leurs défauts et leurs vices, en telle manière que votre tâche est singulièrement plus complexe » Plus de 50000 personnes se voient notifier une expulsion ou un refoulement au cours des années 1930, sur une population de 370 000 en 1936. Le traitement qu’elle réserve plus spécifiquement aux étrangers suit une ligne directrice délimitée par les trois types de préoccupations sécuritaires qui, selon l’historien français Gérard Noiriel, caractérisent l’ensemble des États modernes, à savoir : -La sécurité publique (sauvegarde de l’ordre public) -La lutte contre la criminalité -La sécurité sociale (lutte contre le vagabondage et la mendicité et limitation des dépenses d’assistance publique)

Avec l’aggravation de la crise, économique et l’afflux des réfugiés politiques anti fascistes allemands, italiens et/ou de confession juive, la législation devint encore plus stricte. La xénophobie et l’antisémitisme se répand dans la société. Pour mesurer le climat xénophobe français de l’époque on peut évoquer les innombrables contrôles policiers que subissent les étrangers, qu’ils soient américains et même célèbre comme William Faulkner qui dans une lettre à sa mère raconte: «  J’ai encore été arrêté à Dieppe. Pour la 6 ème fois depuis mon arrivée en France. Je ne sais pas ce qui peut bien me rendre suspect. Je dois avoir une sale tête…je ne fais rien pourtant de particulier » On ne peut retranscrire ici la longue description qu’il fait de son arrestation par la police française, du contrôle et des dialogues qui s’en sont suivit “au poste“, mais la scène et d’un comique certain. Où le policier ne comprend pas pourquoi cet homme, dont le mot “writer“ est inscrit sur son passeport, « Ah vous êtes poète », se déplace de Suisse pour aller à Londres puis à Paris, puis à Dieppe, pour rejoindre Londres et revenir à Paris…forcément suspect.

Le gouvernement Daladier (De nouveau Président du Conseil depuis avril 1938) instaure  “le délit d’entrée irrégulière et clandestine en France “ sans pour autant expliquer les conditions à remplir pour qu’une entrée soit considérée comme légale. Le fait qu’un nombre important d’immigrés se trouvent dans l’impossibilité de régulariser leur situation vis-à-vis de la loi nous invite à insister, plus que pour toute autre période du début du XX ème siècle, sur la fabrique des clandestins par les institutions françaises et par la conjoncture générale. » note Riadh Ben Khalifa (7) . Les décrets-loi du 2 mai et du 12 novembre 1938 marquent un durcissement des mesures d’enregistrement : la variation régulière et la complexité des textes et des procédures constituent en soi, une source permanente de complications pour tous les étrangers.  Le gouvernement Daladier, décide, dès le 12 novembre 1938, d’assigner à résidence ou même d’interner dans des centres spéciaux les « étrangers résidant en France, s’ils sont dans l’impossibilité de trouver un pays qui les accepte, et s’ils ne peuvent, sans péril pour l’ordre public, jouir de cette liberté encore trop grande que confère l’assignation à résidence » Il s’agit « d’étrangers indésirables », de « ressortissants ennemis », de réfugiés, en particulier de Républicains espagnols après la chute de Barcelone.

Du 6 juillet au 16 juillet 1938 se tient à Evian (1) et à huis clos, une rencontre internationale, (sans l’Allemagne, l’Italie, la Russie) de la SDN, pour régler le sort des réfugiés allemands et autrichiens persécutés, de confession juive. La conférence commençait très mal puisque dés le début dans les écrits ou les interventions orales, le mot “juif“ ne fût jamais prononcé. On ne parla que de «réfugiés politiques». Le contexte étant que l’Allemagne nazi, durcissant d’année en année les conditions d’existences des allemands juifs et de leurs familles, privés de presque tout, ne leurs permettant même plus de pouvoir s’alimente, cette politique nazi était de “Judenrein” « nettoyée des Juifs » en rendant si impossible la vie des 600 000 allemands Juifs qu'ils seraient forcés de quitter le pays. Les nazis n’envisageaient pas encore la solution finale. Le “juif“ était déclaré persona non grata. 150.000 allemands juifs avaient déjà fui leur pays, mais après l’annexion de l’Autriche (mars 1938) ce sont 185.000 autrichiens juifs qui se sont rajoutés. C’est l’époque ou les nations et les organisations juives internationales, réfléchissaient à transférer les allemands juifs puis autrichiens, dans une partie du monde, en leur créant d’autorité un pays pour les “implanter“ (Madagascar, Argentine etc..) . Devant cette catastrophe humaine qui s’annonçait déjà comme une tragédie, qu’ont décidé les nations à cette rencontre internationale ? Qu’aucun pays n’accueillerait des juifs. La honte la plus crasse

L’Allemagne nazi déclara ironiquement « “étonnant” que les pays étrangers osent critiquer l'Allemagne pour le traitement imposé aux Juifs, alors qu'aucun de ces pays n'acceptait de leur ouvrir ses portes. » Quelques mois plus tard les pogroms de la “Nuit de Cristal” (Kristallnacht) de novembre 1938 auront lieu. Quelques années plus tard 170.000 allemands juifs et 65.000 autrichiens juifs furent massacrés par le régime nazi. À Rieucros, en Lozère, s’ouvre un premier camp le 21 janvier 1939. Une centaine d’autres serviront aussi à l’« hébergement », à l’« internement », au « regroupement », à la « concentration » d’exilés et d’étrangers. Les Allemands en vertu de l’article 19 de l’armistice de 1940, vont cueillir, dans ces camps, les réfugiés antinazis, les Tziganes et les juifs qui y étaient détenus. (nous y reviendrons dans un autre article). « L’entreprise policière d’enregistrement des étrangers en France aboutit à la fin des années 1930 à l’élaboration d’une armature apparemment puissante de services centraux et de bureaux périphériques qui assurent un maillage du territoire. Mais ce système fait face au volume croissant des demandes et, en 1939, la direction des étrangers du ministère de l’Intérieur doit assumer la gestion de 4.000.000 de dossiers et 7.000.000 de fiches. » (8)

Ainsi à la veille de la guerre, et du Gouvernement de Vichy, la politique de police de la III ème République, aura constitué des fichiers sur des millions d’individus, français, étrangers, opposants, anarchistes, communistes, juifs. Comme nous l’évoquerons dans le prochain article, la III ème République, va enfermer, comme du bétail, dans des camps répartis dans toute la France, des centaines de milliers d’hommes, d’enfants et de femmes, étrangers, antifascistes espagnols ( La Retirada, le grand exode des réfugiés espagnols après janvier 1939 verra près 1/2 millions de personnes arrivés en France), ou allemands, qui seront livrés sans aucun états d’âme à l’occupant nazi`. Le 6 février 1934 En Allemagne Hitler accède au pouvoir en janvier 1933. Entre avril et décembre 1933, le gouvernement laisse entrer sur son territoire environ 30.000 réfugiés principalement des allemands et des juifs allemands. Très vite l’extrême droite va parler de « faux réfugiés » et « d’indésirables » expression repris par le Préfet de police Chiappe.

« Les événements de février 1934 marquent un moment crucial dans l’histoire de la France contemporaine car ils ouvrent une période d’affrontement violents entre l’extrême droite et l’extrême gauche qui aboutira à l’effondrement de la III république et au triomphe du régime de Vichy » (6) Stavinsky, escroc juif ukrainien qui va décéder dans des circonstances troubles, révélant des relations de corruption avec des hommes politiques, des complicités dans la police et la presse, va constituer un scandale retentissant et un déclencheur.

Le très puissant Préfet de Police de Paris, Jean Chiappe, monarchiste, admirateur de Mussolini, et fréquentant l’extrême droite est éclaboussé par l’affaire. Le président du Conseil E. Saladier le révoque et lui propose le poste de gouverneur du Maroc. Le Préfet refuse. Le président du conseil ne cède pas. Le Préfet Chiappe menace Daladier que s’il persiste à vouloir le déplacer il le « trouverait dans la rue ». Son adjoint, le chef de la police municipale, ainsi que le directeur de la police judiciaire se font porter pâle. La préfecture et les services de police sont désorganisées.

La crise entraîne la démission de trois ministres et du Préfet de la Seine. Le 6 février peut-être lu comme l’aboutissement de l’exacerbation de trois types de discours, anti parlementaire, xénophobes et antisémites. La mouvance d’extrême droite (Ligues, monarchistes, partis) dans le cadre de sa campagne contre la “racaille “, les “métèques’ et ses manifestations déjà importantes tout le long du mois de janvier, appelle à rassembler ses troupes devant l’assemblée nationale, pour la défense du Préfet Chiappe et contre l’anti-parlementarisme, craignant un complot d’extrême gauche ou des francs-maçons. Pour nuancer quelque peu la vision uniquement fascisante de cette journée, mentionnons que si le parti communiste ne manifeste pas directement, L’ARAC, qui est l’organisation des Anciens combattants fondée par Henri Barbusse en 1917 et contrôlée par les communistes, participe à la manifestation. Dans l’Humanité paraissait un appel à « protester de la façon la plus énergique contre le régime du profit et du scandale en même temps que contre son mandataire, le gouvernement de M. Daladier, auteur de la révision des pensions ».

Le rendez-vous avait été fixé à 20 heures au rond-point des Champs-Elysées. 250 communistes arrivés de Puteaux (témoignage du commissaire spécial de Saint-Lazare) qui a consigné la présence de ce groupe conspuant le préfet Chiappe, chantant L’Internationale et faisant le coup de poing avec la police deux heures durant. Le soir même à la Chambre des députés, Maurice Thorez conspue Daladier et les siens : « Il faut les sortir ». La manifestation fera 16 morts et 2000 blessés dans la nuit du 6 au 7 février 1934 et 31 victimes au total si on compte les journées du 9 et 12 février. Jamais un tel usage des armes n’avait été mis en œuvre par les forces de police, ni même par l’armée de la Troisième République, dont l’action la plus meurtrière restait les tirs à l’encontre des grévistes de Fourmies le 1er mai 1891 .

Le 9 février et 12 février 1934, vont avoir lieu des manifestations qui accompagnent la grève générale de 24 heures appelée par les syndicats unitaires et confédérés . Elle sont souvent présentée comme la principale réaction de la gauche française à l’émeute antiparlementaire du 6 février 1934. Le Parti communiste appelle à manifester en masse place de la République, réclamant notamment l’arrestation du préfet de police Jean Chiappe et la dissolution des ligues fascistes. Des affrontements violents opposent policiers et manifestants : plusieurs ouvriers sont abattus, des centaines sont blessés. Ces manifestations où la rencontre, des cortèges communistes et socialistes, vont avoir lieu, aux cris de « Unité ! » sont souvent vue comme le point de départ d’une dynamique qui aboutira à la réunification syndicale et au Front Populaire. Le gouvernement Daladier est obligé de démissionner La commission d’enquête constate « l’absence quasi caricaturale de commandement » lors de cette journée.

Jean Chiappe deviendra tout de même, de juin 1935 à 1936 Président du Conseil Municipal de Paris, puis député et Haut commissaire pour le Gouvernement de Vichy. Les premiers jours de  février 1935, l’Action Française, les Jeunes Patriotes organisent une manifestation pour commémorer l’anniversaire du 6 février 1934 et contre les médecins étrangers autorisés à exercer en France aux cris de « La France aux Français » contre « l’invasion métèque »

François Mitterrand (20 ans) y participe, comme membre des Volontaires Nationaux ( Colonel La Roque) de même qu’il sera présent 1 an plus tard à celle du mois de mars 1936 contre le professeur de droit public Gaston Jèze, haït par ses élèves, mais surtout conseiller du Négus qui a introduit un recours contre l’agression de l’Italie fasciste contre l’Ethiopie. Les manifestants scandent « démission du juif Jèze ». (Pierre Péan “Une Jeunesse Française ») A la veille de la seconde guerre mondiale, pour mesurer l’importance de la Préfecture de Police de Paris, il suffit d’un seul chiffre : En 1939 elle comportait 20.000 agents, alors que la Police en France n’en comptait que 12.000 .

NOTES ( 1) La Grande Guerre des gendarmes – « Forcer, au besoin, leur obéissance ? » ; Louis N. Panel .Nouveau Monde Éditions, 2013. (2) Sébastien Laurent Aux origines de la « guerre des polices » : militaires et policiers du renseignement dans la République (1870-1914) (3) Le Creuset français. Histoire de l’immigration XIX -XX siècle, Paris, Seuil, 1988 (4) Immigration, antisémitisme et racisme en France Gérard Noiriel Pluriel Paris 2010) (5) Une police de « simple observation » ?Le Service actif des étrangers à Paris dans l’entre-deux-guerres dans Genèse 2004/1(n°54) (6) Le 6 février 1934  Hermine Videau (7) La fabrique des clandestins en France, 1938-1940 dans Migrations Société 2012/1. (8) Enregistrer et identifier les étrangers en France, 1880-1940 Ilsen About, Centre Georg Simmel, EHESS/CNRS

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