Violences de la police ou violences d’Etat ? Un peu d’histoire : comment naît la police en France? (1)

La Tvnet Citoyenne se lance dans une enquête sur la Police comme forces de l’ordre et donc de l’Etat, sous forme d’une série d’articles ayant pour titre : Violences de la police ou violences d’Etat ? Police l’impossible confiance Mieux comprendre le fonctionnement de la “planète police“ d’avec son environnement et sa commande politique a été la seule motivation pour tenter de vous proposer un 360° sur ce sujet. Nous n’avons ni procédé à la recherche des archives, ni réalisé les études qui seront exposées ici. Nous n’avons pas été aux sources du recueil direct des témoignages que vous allez découvrir. Cette série est le fruit d’une ambition qui a été de réunir, les différents savoirs accumulés par les chercheurs, universitaires (Philosophes, sociologues, politologues) journalistes, experts, mais aussi de très nombreux témoignages de policier et policière dont nous avons pu avoir connaissance, afin de vous proposer un état des lieux, certes non exhaustif, mais assez complet de la police en 2023. “La police est une véritable clinique de la société “ Hélène L’Heuillet, philosophe Article I Un peu d’histoire : comment naît la police en France ?

Dans ces trois articles, historiques, nous nous proposons de montrer comment émergent, plus que la notion de Police telle que nous la connaissons aujourd’hui, les pratiques et les fonctions plus spécifiquement policières qui apparaissent, s’incarnent, et mutent dans les différentes organisations qui se succèdent au fil des siècles. Cette fonction policière, ainsi que la notion de politique de police, seront les deux piliers au centre de notre propos, de notre réflexion tous le long de cette étude. Précisons que nous entendons ici, la Police, comme le font actuellement beaucoup de sociologues ou d’historiens, en englobant le périmètre des polices nationales ( Police, Gendarmerie, Douanes) et des polices municipales qui depuis uns peu plus d’une décennie s’étendent considérablement. Nous lui joindrons au fil des articles l’ensemble des “co-partenaires“ de la sécurité en premier lieu, l’industrie des sociétés privées qui connaissent un développement exponentiel, voulu par le pouvoir politique. C’est bien l’ensemble de ces forces qui reçoivent mandat pour assurer l’ordre et la sécurité d’une population, d’un pouvoir.

Au début était… Le fait. Et comme ce fait, comme bien d’autres, ne peut se passer longtemps de mot, pour le désigner, le nommer, pour le caractériser afin que nous puissions l’appréhender et essayer de le comprendre, nous commencerons donc cette aventure dans l’univers de la police par une évocation rapide de sa dimension strictement étymologique. Au début était …Polis qui définit chez les grecs la Cité (qui n’est pas la ville, nous y reviendrons) en découlera le mot grec politeia ( en latin politia ) qui signifie « régime politique, administration ». Son origine grecque désigne donc une forme de constitution et de gouvernement qui sera l’objet de l’intérêt de la philosophie politique puis plus tard des sciences politiques. En Grèce la politeia « est une forme : elle est au corps de la cité ce que l’âme est au corps de l’être, c’est-à-dire ce qui tout à la fois anime et dirige » (Hélène L’Heuillet) Dans les différents dictionnaires du XVI au XVIII ème siècle le mot désignera toujours le «bon ordre, la bonne administration» la législation, l’administration, d'une ville .Ainsi ce mot va correspondre à la notion de gouvernement de la Cité.

Le terme administration vient du latin administratio qui signifie « action de prêter son aide, de mettre son ministère au service de » Elle est une instance d’exécution et d’application au service de l’ordre. Ainsi le maintien de l’ordre (au sens ici de gouvernement) est au coeur de la fondation de l’Etat, la forme même de l’idée de politique. Le mot Police découle bien de cette idée et se confond dans un premier temps avec la théorie politique. Il va désigner l’ensemble de l’ordre public, l’ordre de toute chose dans la ville, en dehors de la justice et de la finance. bien avant de désigner un corps d’agent spécifique, une administration (Louis XIV) et plus tard une institution (XIX siècle) . Nous continuerons de développer cette idée dans sa dimension de philosophie politique dans les articles s’intitulant “Genèse et construction du concept d’Etat“ Vers une chronologie Dès 580 (Époque Mérovingienne, Childebert II) apparaît en “France“ « le guet » service de surveillance nocturne, assuré par les habitants. Dans les villes possédant une municipalité ou plus tard, dans les “villes franches“ se met en place progressivement une police du guet, une police de ville. Le 20 avril 1233 le pape Grégoire IX établit l'Inquisition en France. Il s'agit d'un tribunal ecclésiastique confié aux ordres mendiants (Dominicains et Franciscains). Dans cette institution les pratiques policières et d’enquête vont trouver un terreau hors du commun. À partir de la fin du XV et début du XVI siècle ce sont des tribunaux civils qui jugeront et condamneront les suspects que leur présenteront les autorités religieuses.

« on peut dire que l’on assiste depuis la fin du Moyen Âge à la mise en enquête généralisée de toute la surface de la terre, et jusqu’au grain le plus fin des choses, des corps et des gestes ». Michel Foucault (Le pouvoir psychiatrique 1974). L’inquisition va être le laboratoire de “technique extractive“ de ce qu’est supposé cacher l’individu au très profond de son être L’exercice consistant après avoir, surveiller, enquêter, interpeller, d’examiner les individus suspects. Poser des questions (pressions, violences, et tortures) dans un cadre : L’interrogatoire. De ce dispositif sortira l’aveu d’où découle la preuve, qui participe, comme de bien entendu à la construction de la “vérité“ fondement du récit des puissants, du pouvoir. Ce corpus de “vérité“ sera scrupuleusement compilé, au fil des siècles, afin d’alimenter un savoir sur l’être humain, “déviant“ et “rebelle“ extirpé sous l’action d’une souffrance inimaginable, et qui largement diffusé (livres, presse) aura une longue vie dans l’imaginaire des populations. En espérant que tout lecteur partage cette évidence, mais compte tenu des temps troublés que nous vivons, il est bon de rappeler que les témoignages recueillis sous la torture n’ont jamais constitué une preuve de “vérité“. « En subissant cette contrainte, on dit le faux non moins que le vrai » disait déjà Aristote (RhétoriqueLivre I) En 1254 à Paris (Ordonnance de St Louis) la sécurité des échanges de biens, la surveillance, le contrôle des personnes, et la garantie de l’ordre en place, sera prise en charge par les « chevaliers du guet », un groupement constitué de sergents de ville à pied et à cheval, (un total de 60 personnes) soutenue par une milice de bourgeois (artisans, commerçants) afin de surveiller la ville, la nuit, appelé “le guet assis“ ou “dormant“ compte tenu de son peu de motivation et efficacité . «  Pour l’utilité du peuple et de la chose publique de tout le royaume de France et de cela mêmement de la ville de Paris, des habitants, vous mandons et commettons que vous payiez dix sous parisis, monnaie courante, pour chaque jour qu’ils vaquent (les vendeurs de poissons) en leur besogne, aux officiers de police employés à la marée » 22 mai 1357 Ordonnance sur les poissonniers.

En 1536 (Francois Ier) verra la création de la Maréchaussée (Elle devint en 1791 la Gendarmerie Nationale) qui fera office de police des routes et de tous lieux de transit, ainsi que la constitution des “polices rurales“ aux mains des seigneurs et/ou des communautés villageoises. En 1559, (Henri II) une taxe sera prélevée pour financer le « gué royal », groupement qui se veut plus efficace et plus directement attaché à l’autorité du roi, mais qui en réalité sera constamment tiraillé entre des autorités rivales (bourgeoisie des villes, pouvoirs seigneuriaux, religieux, pouvoir des parlements) la rendant en partie inefficace. Dès 1572 (Charles IX) se met en place dans chaque quartier de Paris, un bureau de police (ancêtre du commissariat) où sont assignés à côté, des commissaires, deux bourgeois désignés comme intendant de police « pour tenir la main à l’exécution des règlements, avec pouvoir de condamner jusqu’à soixante sous d’amende » Ainsi du XI au XVI ème siècle, s’organise à Paris, une police de ville, avec ses surveillants, intendants et officiers de police, qui auront en charge la surveillance des vagabonds et voleurs mais aussi bien le contrôle des métiers (Forains, vignerons, poissonniers, chirurgiens, changeurs de monnaie etc…), que la police des foins, des grains, arrivant des campagnes environnantes par les ports de Paris.

Toute cette période sera une lutte constante entre la monarchie, qui souhaite asseoir son pouvoir central de renseignement et de police, (1) les puissances féodales, religieuses, les ordres, et la bourgeoisie commerçante des villes. Tous ces pouvoirs ont en commun de partager, la naissance progressive des fonctions policières au profit d’un pouvoir (royal, féodal, notabilités urbaines). Comme le dit l’historienne Arlette Lebigre, (2) au début du XVII ème siècle, les principales organisations de l’Etat sont en place (y compris l’éducation, partagée avec l’église) sauf la police. Chez les historiens, les politologues et les sociologues, deux visions s’affrontent souvent. Une qui considère la police comme consubstantielle avec l’Etat, constituant son bras armé, dans une conception amalgamant un peu vite et forces armées et forces de police, et une autre qui estime, qu’en France, la police, (contrairement à la Justice) ne s’est pas constituée comme une institution régalienne, mais qu’elle s’est d’abord imposée comme une fonction et une organisation non centralisée. Comme le souligne Fabien Jobard et Jérémie Gauthier, sociologues de la police : « La police est une institution d’abord municipale et ce n’est que par des traits exacerbés en France, qu’elle est devenue étatique, centralisée et dérivée de l’institution militaire ». La police comme institution serait une invention récente.

Selon les historiens français ; Jean-Marc Berlière (3) et Marie Vogel, (4) la police passera d’un modèle essentiellement municipale, sous autorité du maire, ou sous tutelle du préfet, selon les époques, à une police urbaine étatisée (1941) Du XI ème siècle au XVI siècle va se développer petit à petit “l’ère du soupçon“, qui prendra comme cible “ les hérétiques “ (musulmans, cathares, juifs etc..) et les femmes (chasses aux sorcières). En effet pour faire face soit à des mouvements sociaux (révoltes de paysans contre les impôts), couplés à la dénonciation de la corruption “la putain romaine “, à un désir de courant religieux plus sincère et plus pur, mais aussi pour trouver une réponse aux causes des épidémies, pestes et famines, qui déciment les populations et engendrent la peur de la disparition totale (eschatologie), les pouvoirs vont développer une suspicion généralisée et désigner des boucs émissaires . Dans ces Principes de la philosophie du droit, Hegel précise qu’il n’y a pas de « limite fixe entre ce qui est nuisible et ce qui ne l’est pas …entre ce qui est suspect et ce qui l’est pas. “ C’est le soupçon qui donne à la police “ce côté contingent et cet arbitraire personnel » Ce qui fait dire à la philosophe, Hélène L’Heuillet, “Soupçonner, c’est penser que le dessus dissimule un dessous et que l’endroit ne peut être expliqué que par l’envers. Le soupçon gouverne, semble-t-il, la recherche policière de la vérité “ (5) Dès lors la surveillance des esprits et des corps sera renforcée .

La fabrique de figure coupable, menaçant l’ordre et la civilisation sera une constante Jusqu’à l’apparition des figures de Lucifer, de satan et du diable, qui petit à petit vont venir hanter pas simplement la terre mais habiter le corps même des humains. Il faudra dés lors savoir les reconnaître, autrement dit mettre en place un cadre de surveillance et de pensée pour identifier, et pourchasser le malin qui peut se cacher en chacun de nous. Autrement dit l’enfer même sur terre. Comme le fera remarquer l’historien M.Bloch « Ce sera un des grands faits sociaux du temps“ “ Oportet haereses esse“ “Il faut qu’il y ait des hérésies“ cette phrase de St Paul sera l’étendard du pouvoir de cette époque (que de celle-là ?) afin de justifier les répressions massives de population qui le contredisent et recherchent soit une alternative politique plus juste, soit une vision spirituelle et religieuse, qui passerait par d’autres voies que la dictature de la monarchie et de l’église. Les historiens vont parler du développement à partir du XIV siècle d’un christianisme de la peur, où cette dynamique sera généralisée et massifiée. « Satan est le chef d’orchestre de la société médiévale“ précise Jacques le Goff dans l’Imaginaire Médiéval .

Les chrétiens après avoir été accusés par les romains d’être des idolâtres, vont accuser les musulmans, les juifs, les cathares, les sorcières, les femmes et les païens des mêmes crimes . Guy Betchel dans La Sorcière et l’Occident parle de l’élaboration de “portrait robot “ en amont, par les services de police, constitué de pièces éparses et variées destinées à confectionner soit une affiche, soit un tract afin de lancer des recherches et déclencher des poursuites. Il s’agira dès lors de faire correspondre ces supposés suspects d’avec le portrait robot. Le résultat sera massivement, probant et positif, envoyant à la mort des centaines de milliers d’innocents. L’offensive était menée sur trois fronts : le théâtre religieux (Mystères), d'autre part par le biais des prédicateurs qui auront une grande influence, ces deux modes ciblaient un public populaire, le troisième ciblait les milieux instruits et lettrés par la diffusion d’ouvrages doctrinaux. “ Il n’est pas exagéré de dire que l’église a été la principale sinon la seule responsable de la multitude de sévices subis par mes juifs au cours du Moyen Age » comme le soulignait H.Ch .Lea dans sa monumentale Histoire de l’Inquisition en Espagne. Le 14 février 1349, 2000 juifs sont brûlés vifs à Strasbourg, accusés d'avoir empoisonné l'eau de la ville. L’établissement et la stigmatisation de catégories de population que les pouvoirs royaux et ecclésiastiques prendront comme cibles, auront pour fonction de servir de bouc émissaire et serviront au renforcement de la doctrine de l’église et à la consolidation du pouvoir central. Notons que l’imprimerie jouera un rôle primordial dans la diffusion de ces notions et ces doctrines auprès d’un élite française et européenne d’intellectuels. Concernant les juifs, deux ouvrages eurent une grande influence : Le Pugio Fidei (« Le poignard de la foi » ) à la fin du XIII siècle et vers 1460 le Fortalicium Fidji (« La Forteresse de la Foi »), ce dernier connu huit rééditions en cinquante ans dont trois à Lyon. Concernant les femmes et les sorcières, de 1380-1480 pas moins de trente ouvrages en démonologie (sur les démons) seront publiés. Certains avec des tirages importants ( 231.000 exemplaires). Le Malleus maleficarum, (« Le Marteau des Sorcières ») réquisitoire anti-femme terrible, est pour l’historien Trevor-Roper « le livre le plus important de l’histoire ». Le 14 février 1349, 2000 juifs sont brûlés vifs à Strasbourg, accusés d'avoir empoisonné l'eau de la ville. L’'établissement et la stigmatisation de catégories de population que les pouvoirs royaux et ecclésiastiques prendront comme cibles, auront pour fonction certes de servir de bouc émissaire au service du renforcement de la doctrine de l’église et à la consolidation du pouvoir central.

Notons que l’imprimerie jouera un rôle primordial dans la diffusion de ces notions et doctrines, auprès d’une élite française et européenne d’intellectuels. Concernant les juifs, deux ouvrages eurent une grande influence : Le Pugio Fidei (« Le poignard de la foi » ) à la fin du XIII siècle et vers 1460 le Fortalicium Fidji (« La Forteresse de la Foi »), ce dernier connu huit rééditions en cinquante ans dont trois à Lyon. Concernant les femmes et les sorcières, de 1380-1480 pas moins de trente ouvrages en démonologie (sur les démons) seront publiés. Certains avec des tirages importants ( 231.000 exemplaires). Le Malleus maleficarum, (« Le Marteau des Sorcières ») réquisitoire anti-femme terrible, est pour l’historien Trevor-Roper « le livre le plus important de l’histoire ». Un grand nombre d'historien estime qu'en un peu plus d'un siècle cette chasse aux sorcières (80% de femmes) aurait fait autour de 100.000 morts certains historiens parlant de plus d' 1 millions de décès. Un petit mot sur le début de la presse qui commence véritablement par La Gazette, premier périodique créé par Théophraste Renaudot en 1631 et qui est surtout une volonté du pouvoir d’avoir un relais d’opinion officiel auprès de la population. Pendant ces décennies, la diffusion de libelles, de “placards “, pamphlets, écrits ou autres supports à vocation informationnelle colportent souvent des propos diffamatoires, et calomnieux, qui troublent “l’opinion commune“, les réputations, la cour royale, et les autorités. Cette multitude d’écrits au style moqueurs, satirique voire scabreux et surtout politique, alimentent les rumeurs et la “vox populi “ et sont une source ou facteur aggravant, de mouvements d’opinions pouvant déboucher sur des désordres sociaux et politiques. Louis XIII et Richelieu, qui part ailleurs ne se privaient pas pour alimenter ces rumeurs, vont permettre la création de la Gazette, un des premiers journaux (après, le Mercure de France, qu’il rachète), courroie de transmission du pouvoir royal, et qui plus tard, lui accorde le monopole de l’information politique.

Quel rapport avec l’histoire de la police ? Necker premier ministre de Louis XVI, un siècle plus tard, répondra à cette question en disant, assez clairement, à propos de la presse, quelle est « cette puissance invisible qui commande jusque dans le palais du roi ». On dit que c’est l’anglais E.Burke en 1787 qui qualifia cette pratique informationnelle (la Presse) de “quatrième pouvoir“. l’Etat et ses pouvoirs, ne pouvaient dès lors ne pas s’intéresser à cet objet exerçant un effet si puissant sur le peuple et si déstabilisant. Il devait essayer d’y participer à défaut de pouvoir en policer totalement sa dissémination. Anticipant ce que Bourdieu diagnostiquera bien plus tard «  Plus personne ne peut lancer une action sans le soutien des médias…Le journalisme finit par dominer toute la vie politique, scientifique ou intellectuelle ». Dès lors un pouvoir étatique ne pourra plus déployer ses politiques publiques sans que sa politique de police ou sa politique militaire, selon les circonstances, développe, au sein de sa stratégie de renseignement, une politique d’information en amont ou en aval, afin au mieux d’essayer de la contrôler ou de s’y inscrire pleinement comme producteur d’information, tout autant que comme agent de désinformation. Il ira jusqu’à intégrer même ce type de service dans son organisation policière et militaire.

Dans les 1950 à 1960, alors que les écrits sur la dynamique des foules (G.Le Bon 1895) sur la constitution des opinions publiques (W. Lippmann, J.Dewey 1920) et la fabrique du consentement (E.Bernays 1928 ) sont largement connus et appliqués, par les divers pouvoirs, des militaires français, le Colonel Lacheroy (“De St Cyr à la guerre psychologique“ 1954 ) et Roger Trinquier (“La guerre Moderne 1961) vont théoriser, dans le cadre des guerres coloniales (vietnamienne et algérienne), les principes de la contre insurrection, dans laquelle l’information et la presse joueront un rôle primordial . Cette doctrine française se diffusera dans les armées du monde entier . « La population est l’enjeu de l’adversaire comme des forces de l’ordre…elle détient la clé de voûte du problème, car le succès appartiendra à celui des deux qui la fera s’engager dans l’action » (Instruction pour la pacification en Algérie). Mais n’anticipons pas, nous en reparlerons plus tard.

Nous allons suivre rapidement, comment du XVII au XVIII éme siècle, la doctrine policière se forge théoriquement et comment elle s’institutionnalise à travers différentes étapes. La construction théorique et pratique de la fonction policière. En près d’un siècle, en Europe, quatre étapes vont structurer fondamentalement la notion de police et constituer son assise et sa véritable doctrine. La première étape va être franchie au début du XVII ème siècle par un texte de Turquet de Mayenne ( 1550-1618) en 1611 et présenté aux États généraux de Hollande qui est l’une « des premières utopies programme d’État policé » selon Michel Foucault (6). En effet, dans cette vision, la notion de police va englober de grandes parties de la société (productions, rapports, propriétés, échanges etc..) « l’homme est le véritable objet de la police » comme le dira Michel Foucault, elle s’imposera comme une quatrième fonction, à côté de celle de la justice, de l’armée et de la finance. Dans le prolongement de cette réflexion un chercheur Grégoire Chamayou, parlera de la police comme d’un pouvoir cynégétique. (Les Chasses à l’homme. Histoire et philosophie du pouvoir cynégétique.La Fabrique 2010). Ce qui est toujours admirablement illustré à chaque fois que les médias titrent sans hésitation «  une véritable chasse à l’homme est en cours » pour retrouver un fugitif.

Cette volonté politique d’administrer totalement une population ne sera pas sans conséquence. En 1667, une mise en garde, déjà, provient du premier président du Parlement de Paris, Guillaume I er de Lamoignon, déclarant que la maréchaussée « est plus à craindre que les voleurs eux-mêmes » (7). En effet en 1580 avait vu, déjà, le prévôt des maréchaux (maire) d’Angers exécuté, pour avoir commis « plusieurs assassinats, voleries et concussions ». La deuxième étape sera marquée, d’une part, par l’épisode de la Fronde (1648-1653), qui constitua une menace et un traumatisme direct pour la monarchie et d’autre part par l’insécurité croissante dans Paris. En effet du XVII-XIXè siècle, face à la croissance urbaine, et son corollaire le développement de la grande ville ( Paris à 500.000 habitants) ainsi que de la misère de la population, les polices auront pour fonction le contrôle, des miséreux, des ambulants, des errants, des vagabonds, des étrangers. La misère est grande dans les villes d’Europe, et le travail, par exemple, des femmes “’en chambre“ (fabrication de vêtements ou d’objets, chez soi) ou encore exerçant la “revente“ de produits alimentaires, de pièce d’habillement, se développent considérablement et sont pourchassés par les forces de police.

Cette pratique très répandue va jusqu’à concerner aussi bien, les fleurs, les animaux, les objets et les produits exotiques ( laine, café, thé, sucre etc..), dont les classes populaires élaborent des stratégies pour entrer sur ce marché du luxe. Toute une chaîne d’approvisionnement, qui va des domestiques de la Cour, en passant par les douanes, qui volent une petite partie de ces marchandises détaxées, va se retrouver sur le pavé parisien ou celles des villes d’Europe. Tous ces marchands ambulants, “à la sauvette“ sont la plupart du temps, des femmes seules avec leurs enfants, qui vont jusqu’à proposer des plats cuisinés, des soupes des boissons. Elles occupent cependant les segments les moins profitables de ces marchés. N’oublions pas que les femmes dans les villes européennes sont exclues du commerce officiel (sauf les veuves) tout comme les étrangers. La chasse et l’arrestation de ses pauvres, ne se font pas sans résistance donnant lieu à des affrontements qui ont quelquesfois allure d’émeutes de quartier, car la population dans de nombreux cas, s’oppose à ces actions. En février 1751 ce sont, par exemple, près de 500 personnes qui protègent un colporteur de peaux de lapin. Aussi l’Etat, sous la pression des marchands établis, va mettre en place une régulation avec tout un dispositif de règle d’hygiène, et de taxes (La patente), interdisant de fait, à toute personne incapable de la payer, un quelconque acte de commerce.

Dans son Tableau de Paris, Louis-Sébastien Mercier dénonce en 1781, cette chasse “ Rien de plus fréquent, et rien qui déshonore plus notre législation. On voit souvent un commissaire avec les huissiers, courant après un vendeur de hardes, ou après un petit quincailler qui promène une boutique portative…On dépouille publiquement une femme qui porte sur son dos et sur sa tête une quarantaine de paires de culottes. On saisit ses nippes au nom de la majestueuse communauté des fripier. On arrête un homme en veste qui porte quelque chose enveloppé sous son manteau. Que saisit-on ? Des souliers neufs que le malheureux avait cachés dans un torchon. Les souliers sont enlevés par ordonnances, cette vente devenant attentatoire à la cordonnerie parisienne » Comme on le comprend aisément cette chasse policière, qui vise les populations les plus pauvres, en les privant de leur commerce assèche considérablement les sources de leurs revenus et accroît leur pauvreté. La lutte contre le vagabondage et la mendicité, va aller jusqu’à marquer au fer rouge d’un M, les récidivistes ( Ordonnance de 1724)

De Rutebeuf à Victor Hugo en passant par Louis-Sébastien Mercier, notre imaginaire a été peuplé des figures de la misère et de la truanderie parisienne, ainsi les matois, les malingreux (fausses plaies), les callots (teigneux), les sabouleux (faux épileptiques), les piètres (faux estropiés), le hubins (faux enragés), les coquillards (faux pèlerins), les rifodés (faux incendiés), les courtauds de boutanche (faux ouvriers se disant sans travail), les drilles, narquois, gens de petite flambe, tous les ribauds et toutes les ribaudes, toutes les classes de voleurs, d'assassins, de mendiants et de vagabonds, ont forgé définitivement notre représentation de la pauvreté et de la délinquance à Paris . Dominique Kalifa et Jean-Claude Farcy en ont fait même un livre admirable “ Atlas du crime à Paris du Moyen -Ages à nos jours “   À cette description il faudrait aussi ajouter que tout le long du XVII siècle de véritables compagnies criminelles possédant officier, discipline, langage secret et leur code spécial de l'honneur étendent leur domination sur des quartiers entiers de la capitale dans une relative impunité.  « Jour et nuit on vole et on tue ici à l'entour de Paris. On dit que ce sont des soldats du régiment des gardes et des mousquetaires. Nous sommes arrivés à la lie de tous les siècles » dénonçait Guy Patin, doyen de la faculté de médecine et homme de lettre, le 26 septembre 1644.

L'insécurité prend parfois une ampleur inquiétante : pour la seule journée du 6 juin 1644, on dénombre quatorze assassinats, et 373 pour l'année 1643 .  Dans les campagnes et les les villages ces bandes de soldats, de déserteurs (compte tenu des châtiments corporels et de l’absence de nourriture suffisante dans les armées ) et miséreux, pratiquent la contrebande de laine, de sel et de tabac. Ces révoltés, ces braconniers, ces contrebandiers, qui jouissent d’une grande popularité parmi le petit peuple, seront nombreux à s’organiser en bande pour survivre en autonomie. Le plus célèbre d’entre eux sera Louis Mandrin (1725-1755) qui ira jusqu’à déclarer la guerre aux collecteurs de taxe et à la Ferme Générale ( Banquiers, gestionnaires de l’impôt du roi et prêteuse pour la couronne) . Pour faire face à cette opposition des bandes armées, la Ferme Générale, va développer sa police d’une façon importante. En plus d’être une institution fiscale et administrative, elle est doublée sur le terrain par une police du recouvrement; des brigadiers, des compagnies de gabelles qui sont mal payées, pas instruits, venant du peuple, sont souvent brutales et excessives dans l'exercice de leurs missions. Les brigades usent largement de leur droit de faire feu, les sentences à l’encontre, des contrevenants, contrebandiers et autres fraudeurs, relèvent d'un régime juridictionnel spécial, particulièrement sévères.

En 1783, plus de deux cents condamnations aux galères furent prononcées. Retour de bâton à partir de 1789, 28 fermiers généraux seront guillotinés. Retournons en ville. À Paris en 1665 verra l’assassinat en plein jour et à son domicile du Lieutenant Tardieu (dont Molière s’inspira pour son personnage d’Harpagon) et de sa femme. La ville est par excellence le lieu de l’apparence, de l’artifice la vitrine de la concurrence entre les hommes ( Boucher d’Argis), le lieu du théâtre des inégalités ( JJ.Rousseau) mais aussi de la sociabilité tout autant que de l’insociabilité, de la solidarité, comme de la délinquance, de la criminalité. Ainsi Antoine-Gaspard Boucher d’Argis, avocat et théoricien de l’histoire du droit (il écrira plus de 4000 articles pour Encyclopédie dont plusieurs sur la Police), traduira le mot “Polis“ par ville. Cette ville est le lieu par excellence de la production potentielle, au sein du peuple d’une force émeutière et d’insurrection qui fait le plus peur au pouvoir : La Foule. Elle sera la préoccupation principale de la police au XIX siècle. Ce qui fait dire à la philosophe Hélène L’Heuillet “ Ce qui rend la ville impensable, la fait paraître ingouvernable et par conséquent la promeut au rang d’objet privilégié de la police, c’est qu’elle se trouve au point même où s’entrecroisent deux conceptions de l’Etat » .

En effet cette ville passe progressivement d’un Etat administratif territorial (XV et XVI ème siècle) à un Etat de gouvernement dont le souci principal est la population (M.Foucault) . Création de la Lieutenance Générale de police  La monarchie va en 1667 (Louis XIV) promulguer un Édit Royal important et historique en créant la Lieutenance Générale de police définie comme une organisation publique spécialisée et professionnelle qui placera la police dans les mains du Roi. Sa mission sera certes de lutter contre le crime mais aussi de veiller à « l’observation des lois et la réformation des moeurs ». « Les plaintes qui nous ont été faites du peu d’ordre qui était dans la police de notre bonne ville de Paris, et faubourg d’Iscelle nous ayant obligés de rechercher les causes dont ces défauts devaient procéder » Edit du Roi pour la sureté de la ville, décembre 1666. L’ordonnance du 15 mars 1667 stipule l’étendue de ses fonctions. « Il veillera au nettoiement des rues, places publiques…il s’assurera de la bonne exécution des ordres concernants, les étals de boucherie, de la visite des Halles, des Foires et marchés , des auberges, des maisons de jeux, des tabacs et autres lieux mal famés…Il surveillera les manufactures, les brevets d’apprentissage, les poids et mesures, les imprimeries…il connaîtra les assemblées illicites, tumultes et séditions, des statistiques chirurgicales, en ce qu’elles doivent citer tous les noms des blessés »

La personnalité et le “talent“ des premiers Lieutenants (La Reynie, d’Argenson, Sartine, Lenoir) vont structurer les services en commissaires, inspecteurs et indicateurs et vont procéder à des spécialisations ainsi qu'à un quadrillage le plus fin du territoire, notamment à Paris en direction des populations les plus pauvres (7). Une des premières mesures de Gabriel Nicolas de la Reynie, dont la maison avait été pillé et saccagé pendant la Fronde, fût d’équiper les rues et les carrefours de lanternes à chandelle, une vraie révolution. Puis il entreprendra le “nettoyage“ de la Cour des miracles, où habitait 1/20e de la population parisienne. « Depuis plusieurs siècles, Paris et ses environs étaient infestés d’une foule de vagabonds et de pauvres. La plupart, gens sans aveu, mendiants de profession, tenaient leurs quartiers généraux dans les cours des Miracles. On nommaient ainsi leurs repaires parce qu’en y entrant ils déposaient le costume de leur rôle. Les aveugles voyaient clair, les paralytiques recouvraient l’usage de leurs membres, les boiteux étaient redressés. Tous les moyens leur semblaient bons pour exciter la compassion des passants. » (8). Le Préfet de Paris Louis Lépine dira de la Reynie qu’il avait nettoyé les écuries d’Augias. Louis XIV qui veillait personnellement au maintien de l’ordre dans Paris (traumatisé qu’il avait été dans son enfance par la Fronde) engage fortement les lieutenants de police à se mobiliser. “Notre bonne ville de Paris étant la capitale de nos Etats et le lieu de notre séjour ordinaire qui doit servir d’exemple à toutes les villes de notre royaume, nous avons estimé que rien n’était plus digne de nos soins que d’y bien régler le Justice et la Police ». Convoqué devant le roi Louis XIV lors de sa nomination, ce dernier lui dit «  Je veux Monsieur le Lieutenant de police, clarté, netteté et sûreté de ma capitale…Je veux pouvoir m’y promener à pied »

Une médaille fût frappée avec l’inscription “Urbis Securitas et nitre “  “La sécurité et la netteté“de Paris. Cette double exigence se perpétue au fil des siècles et la métaphore du nettoyage sera une constante dans le discours des hommes d’ordre. La rue, le territoire de l'instituant Que se soit d’un point de vue hygiénique, sanitaire ou de désordre, le coeur de cet enjeu primordial est la rue. Ainsi de sa construction ou destruction, de sa dénomination (Premiers noms de rue en 1728), au souci de sa circulation (flux), de son éclairage, de sa surveillance, de l’immatriculation des véhicules qui y circulent, des numéros des immeubles, par Guillauté, la rue, nomade de la ville moderne, devient l’enjeu de l’ordre de tout pouvoir. . Gabriel Nicolas de la Reynie, ne va pas seulement nettoyer, dans les deux sens du terme, le quartier général de la Grande Truanderie : la Cour des Miracles, il va, 200 ans avant Haussmann, ouvrir les rues du Caire et du Nil, pour plus de visibilité condition première pour le maintien de l’ordre public.

La rue est pour la philosophe Hélène L’Heuillet. « Un dehors pour l’Etat un dedans pour la société…elle devient un lieu politique et l’objet d’une politique ». 200 ans après, Joseph Fouché dans une circulaire aux préfets insiste « La police est une surveillance continuelle de l’ordre de toutes les parties de la société. Elle a, dans la nature de ses actes, des bornes assez circonscrites et elle n’en a point pour les objets sur lesquels elle s’exerce. Le regard de la police est partout, et presque toujours, son action se borne à voir » (31 mars 1815). La chasse aux pauvres vivant dans la rue sera une constante pour tous les pouvoirs. Après les années 1760, il y avait en permanence, à Paris, 7 000 à 8 000 mendiants enfermés dans les 38 dépôts de la ville. Dans la rue vivait également tout un peuple d’enfants errants, petits et grands, dont certains s’enfuyaient volontairement, notamment pour échapper à la violence familiale. L’Hôpital des Enfants Trouvés accueillait chaque année en moyenne 4 000 enfants, bien qu’il fût également, à bien des égards, un mouroir, sans parler des nouveau-nés abandonnés dans les rues de Paris. Pour l’historienne Arlette Farge, si la police s’occupe de la rue , c’est parce qu’elle est le terrain du conflit social : « la rue est la maison de ceux qui n’en ont pas » (9)

La rue est le lieu par excellence, où une foule peut se constituer en force Instituante et renverser l'ordre d'un pouvoir. Mais la misère est exponentielle et l’interdiction d’une économie de survie informelle, comme on la vue, poussent aussi les femmes à se prostituer pour survivre. Dans les grandes villes d’Europe comme Paris ou Londres les historiens évaluent entre 25.000 à 50.000 femmes qui s’adonner à cette pratique. Trois ordonnances royales (1684) vont organiser l’enfermement des prostitués ou même des jeunes filles qui seront “ en péril évident de l’être“, permettant de fait aux familles issues des classes laborieuses de pouvoir enfermer leurs filles. Elles seront contraintes au travail forcé, subissant le régime de la “correction “. “Les ordonnances de 1684 marquent un tournant ; elles accordent au Lieutenant -Général de Police à Paris des pouvoirs exceptionnels en matière de surveillance des moeurs au détriment des juridictions traditionnelles comme celle du Châtelet, en distinguant deux catégories de délit : ce de débauche publique et vie scandaleuse de filles ou de femmes et ce de maquerellage et prostitution publique » (10) La chasse aux “débauchés“ sera toujours un objectif constant. En 2023 la chasse aux sans domicile fixe, aux mendiants, et autres “punks à chiens“ occupe toujours autant les services de police municipaux comme nationaux.

Un officier de la maréchaussée, inspecteur de police, spécialiste du génie militaire et futur encyclopédiste, (Mémoire sur la réformation de la police de France 1748), Gabriel Guillauté va formuler une véritable utopie policière, faites d’un système extrêmement perfectionné, de fiche d’identification à vocation démographique, fiscale, criminelle. C’est lui qui proposera le numérotage des immeubles de Paris. “C’est ainsi qu’on parvint à réduire la connaissance d’un peuple à celle des principaux sujets, et à voir dans les rapports circonstanciés de mille personnes bien instruites tous les détails et les vicissitudes d’une société de plusieurs millions d’hommes » Il présente à Louis XV son dispositif de classement très élaboré qui permet de tout savoir sur tout le monde: nom, date de naissance, origine et qualité etc. Le certificat, le passeport, la carte et le livret se répandent alors; ce sont autant de documents écrits, garantis par l’administration et mis au service du contrôle social. La police sera dorénavant les yeux et les oreilles du roi, des pouvoirs. «  Un seul ne voit et n’ont que bien peu. Or les rois ont besoin de beaucoup d’yeux et d’oreilles » (Pierre Charron, De la Sagesse (1601)

Cette boulimie de collecte d’informations sur les individus va agglomérer un stock considérable de renseignement. Ce qui engendra un perfectionnement de ces pratiques aboutissants, quelques siècles plus tard à la notion de professionnalisation. Les pouvoirs ont toujours rêvé d’un contrôle total sur les populations, dispositif absolument nécessaire pour mener des guerres (réservoir de soldat) ou pour récolter l’impôt (foyer fiscal) deux fonctions vitales pour sa survie. C’est l’historien Jean-Claude Hervé qui par un article (“ l’ordre à Paris au XVIII siècle Les enseignements du “Recueil des règlements de Police “) nous fait découvrir l’existence au XVIII siècle d’un commissaire Dupré, qui aurait compilé dans 72 volumes l’ensemble des règlements de police de l’époque. Au XVIIIème siècle, la France est organisée en une trentaine de généralités, dirigées chacune par un Intendant de justice, police (rappelons de nouveau que police est entendue alors au sens d'administration générale) et finances "de qui dépend le bonheur ou le malheur des provinces" écrivait alors l'écossais John Law . Circonscriptions financières à l'origine, les généralités avaient été créées par François 1er. Louis XIV et Louis XV les imposèrent aux dépens des vieilles divisions féodales. Issus de la noblesse de robe, bourgeoisie anoblie, et choisie par le Roi parmi les maîtres des requêtes de son conseil, les Intendants ne dépendaient que de lui. L'Intendant était "le roi présent en la province ». Ils sont les ancêtres des préfets.

La création par Louis XV des Lieutenance de Police dans les villes de province, sera un échec. Mentionnons cependant, Prost des Royers, lieutenant-général de police de Lyon et auteur d'un important traité de droit sur la police (Vincent Milliot). Il publia aussi en 1782, un manifeste plaidant pour une meilleure représentativité des femmes dans l’administration. Le 27 avril 1778 une ordonnance qui oblige les suspects arrêtés à prouver leurs déclarations « sur leurs noms et leur état, sur les lieux de leur demeure et ceux d’où ils viennent » par « la représentation des certificats et passeports dont les particuliers ainsi arrêtés devront être porteurs » sera un tournant. L’ordonnance autorise de fait la maréchaussée à arrêter toute personne sans papiers, pour peu qu’elle lui semble suspecte. Cette avalanche de législation et de de réglementation concernant les moindres déplacements et activités de la population sera une étape importante dans la professionnalisation des fonctions de police, qui reposaient en partie sur les épaules des commerçant, artisans, et notables urbains, constituant pour eux, une charge toujours plus lourde et de moins en moins compatible avec leur activité. Ce que l’historien, Carl.B.klockars a appelé une police « vocationnelle » (11) l’opposant à la police professionnelle qui allait arriver plus tard et s’institutionnaliser. Une troisième étape se précise début du XVIIIème siècle, dans le souci d’une rationalisation de l’administration royale, ce qui va donner lieu à l’écriture de nombreux traités.

En 1705, dans son traité de police, Nicolas de la Mare (1639-1723) va définir onze choses sur lesquelles la police doit veiller à l’intérieur d’un État : la religion, la moralité la santé, les approvisionnements, les routes, les ponts et chaussées, les édifices publics, les arts libéraux (l’enseignement) le commerce, les fabriques, les domestiques, les hommes de peines, les pauvres. Ayant participé à la destruction du temple de Charenton, il sera la cible et caricaturé par les protestants. Conscient que la notion englobe tout, il fera la distinction entre droit privé et droit public et restreindra le terme de police à « l’ordre public dans chaque ville ». (12) En 1708 est créé le corps des inspecteurs de police Enfin, une quatrième étape marquée par la constitution en Allemagne d’un savoir académique de la « Polizeiwissenschaft », particulièrement à travers l’ouvrage de Von Justi, “ l’État de police “ (1756)  qui propose des principes d’action pour « veiller aux individus vivant en société » et vise à « consolider la vie civique en vue de renforcer la puissance de l’État ». Au moins le propos avait l’avantage d’être sans équivoque. À partir de cette époque c’est toute la population qui est clairement définie comme étant un objet de la police. Cette dernière doctrine va fortement inspirer les réformes napoléoniennes.

Ainsi tout le long du XVIII éme siècles, la police va cumuler des connaissances et agréger des savoirs sur les populations. Les polices vont intégrer des dispositifs militaires, à leurs pratiques et vont réaliser : «  Un quadrillage des quartiers, carnets de circulation et d’identification, réseau d’informateurs et de logeurs, contrôle resserré des garnis et de manière générale de tous les lieux de résidence des pauvres et des sans adresse …ce sont ces savoirs qui vont être traduits en droit administratif et police administrative » (13). Janvier 1796 verra la création d’un ministère de la Police Générale. La police, est donc bien un concept lié à la formation des États moderne de l’Europe continentale (France-Allemagne). En France, elle s’est constituée tardivement et a accompagné la consolidation d’un État centralisateur. La police n’est pas issue, comme en Angleterre, de la communauté ( 1829 Principes de Robert Peel) Laissons le dernier mot au célèbre Fontenelle qui compare police et corps célestes dans son éloge du Lieutenant général de Police d’Argenson «  Les citoyens d’une ville bien policée jouissent de l’ordre qui y est établi, sans songer combien il en coûte de peine à ceux qui l’établissent et le conservent, à peu près comme les hommes jouissent de la régularité des mouvements célestes sans même en avoir aucune connaissance. » 

Notes article 1 (1) Nous mentionnons deux faits qui nous paraissent constituer des exemples d’avancés dans la constitution d’une fonction policière et d’une politique de police : La mise en place d’une police de la pêche: Le lundi d’après la Pâques de 1289 sera promulgué le premier règlement sur la pêche fluviale, qui fera intervenir des sergents de ville pour la vérification de la taille des filets, afin de lutter contre le braconnage qui dépeuplait les rivières.Sergent de ville qui seront rémunérés sur les prises des braconniers et qui au fil des ans abuseront de ce pouvoir., ce qui nécessitera de légiférer quelques années plus tard pour protéger les pêcheurs. Ce qui constitue pour commencer cette série d’article un exemple type pouvant illustrer l’abus de pouvoir d’un corps possédant l’exercice d’une violence “légitime“ et qui est au coeur de la problématique que nous allons développer. Au matin du vendredi 13 octobre 1307, sur ordre du roi Philippe VI le Bel, les sénéchaux et les baillis du royaume au terme d'une opération de police, unique en son genre, conduite dans le secret absolu par Guillaume de Nogaret vont arrêter plusieurs milliers de chevaliers de l’ordre du Temple. Ils seront interrogés sous la torture par les commissaires royaux avant d'être remis aux inquisiteurs dominicains. .Ce dispositif et coup de filet exceptionnel, atteste l’importance, pour un état soucieux d’asseoir son autorité de disposer d’un bras armé, de confiance afin d’exercer sa volonté. Il est peut-être le premier acte originel de “centralité“ policière, d’une politique de police au service d’un pouvoir central. (2) La Police, une histoire sous influence, Arlette Lebigre coll. « Découvertes Gallimard / Histoire » (no 168), Gallimard, 1993 (3) Jean Marc Berlière “Histoire des polices en France : de l'Ancien régime à nos jours (coécrit avec René Lévy), Paris, Éditions Nouveau Monde, coll. « Poche : histoire », 2013, (4) Marie Vogel. “ Comment la police municipale française devient urbaine: les transformations de la carte policière en France 1880-1910“ Messine Nov 2004 (5) Basse politique Haute Police, Fayard, Hélène L’Heuillet Fayard 2001 (6) Michel Foucault (1926-1984 ) «Omnes et singulatim» : vers une critique de la raison politique Le Débat 1986/4 (n° 41), pages 5 à 36 (7) La Police, une histoire sous influence, Arlette Lebigre coll. « Découvertes Gallimard / Histoire » (no 168), Gallimard, 1993 (8) Paul Bru Histoire de Bicêtre 1890 (9) l’Historienne, Arlette Farge, montre avec précision, dans, “La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarités à Paris au XVIIIe siècle,“ le rôle de la police parisienne à l’égard de la vie quotidienne des populations les plus pauvres. Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard,[1979]. (10)Vivre pauvre Quelques enseignements tirés de l’Europe des Lumières Laurence Fontaine, Gallimard NRF 2022 (11) Carl.B.klockars Enhancing Police Integrity .2007 (12) Nicolas de la Mare Traité de Police, publication de 1707 à 1738, d’un ouvrage en 4 volumes exposant et décrivant systématiquement les méthodes de police applicable dans une grande ville. (13) Sociologie de la police, Fabien Jobard, Jacques de Maillard. Armand Colin PROCHAINE PARUTION Le 25 novembre 2023 : Violences policières ou violences d’Etat ? Police l’impossible confiance Article 2. : Un peu d’histoire : comment naît la police en France ? (2) -Une Police des étrangers -De Vidocq au Préfet Lépine - La Commune de Paris

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