Le prix de la gratuité

La gratuité est méprisée, jetée à la benne. La gratuité est mise à l'écart de notre société comme non économiquement viable. Le couteau donné coupe l'amitié. Même dans la sagesse populaire, rien n'est donné sans une pièce en échange, pour être quitte, pour se déculpabiliser de ce trop plein de matériel déversé dans le manquant. La gratuité fait honte. On ne reçoit pas simplement, en se laissant porter par la générosité de l'autre. : il faut rendre, compenser, être dans cette égalité permanente alors que rien n'est plus inégal que ces corps que l'on habite, différents dans leurs capacités, leurs forces, moyens de réflexion, envies, aspirations... Et pourtant, nous sommes tous issues de la gratuité : le don de la Vie nous est offert à la naissance, sans demande de compensation. Seul l'Homme policé se met en tête de devoir rembourser une dette hypothétique à la société, à la famille qui l'a éduqué et cela même si chacune des personnes qui la compose a elle même hérité du don de la Vie gratuitement. La gratuité s’impose dans nos Vie comme la logique compensation à la marchandisation totale de notre environnement. On en vient à spéculer sur la Terre, à vendre des ‘parcelles’ dessinées arbitrairement, à urbaniser des forêts, à transformer la Nature en planche à billet. Et si on en revenait à la simplicité d’un échange gratuit ? Et si la pression qui nous écrase au quotidien n’était juste pas la résultante de notre temps d’existence rentabilisé à l’extrême ? Ce « il faut travailler 8 heures par jour, au minimum 35h par semaine » pour se sentir bien ?

Nous pourrions commencer par un simple objet, tendu à un proche, pour ne pas se sentir trop en danger. On pourrait élargir le concept en posant un livre aux hasards des chemin, sur un banc, dans un train, un bus ou un espace de libre échange déjà prévu à cet effet… Et puis, peut être que dans cet espace d’échange, on pourrait se sentir tranquille de récupérer un ouvrage, simplement parce que la couverture nous plait. C’est de cette simplicité, poussée un peu plus loin, qu’est né le concept des Zones de Gratuité. Les Zones de gratuité ont été popularisées dans les espaces autogérées et servaient à concentrer les possessions communes dans un espace où chacun pouvait se sentir libre de se servir. A Chambéry, ce concept a été repris par l’association Savoie Récup et développé sous forme d’étagères posées sur des structures à 2 roues, donc facilement déplaçables, et accessibles en permanence car garées sur la voie publique. Le concept reste simple : Les dons des petits objets du quotidien, légers, fonctionnels et facilement réutilisables, sont les bienvenus sous réserve qu’il y ait de l’espace pour les accueillir. Chacun est libre de récupérer les objets à disposition sans conditions. L’espace est autogéré, chacun est invité à en prendre soin, à ranger si nécessaire, à ramasser les débordements et à évacuer les déchets. Véritable révolution dans le monde du recyclage, multiplier les espaces de gratuité permettrait une vraie transformation de notre mode de pensée consumériste et jetable. Il devrait même être envisageable d’avoir une boîte à dons à disposition attenant à chaque aire de tri des déchets. Trouver des vêtements à notre taille, suspendu à un cintre, s’approprier librement de quoi agrémenter son non meublé, renouveler sa bibliothèque grâce à des livres voyageurs, transmettre ses surplus alimentaires en cas de voyage ou déménagement : tout cela est possible si l’espace est mis à disposition. Ce serait une solution simple et pertinente pour réduire nos déchets, diminuer notre stress de l’accumulation et développer considérablement notre culture et notre art du renouvellement. L’outil est à notre disposition, il suffit de le prendre en main. Et la motivation a toujours été gratuite !

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